Pérennité des infrastructures et des bâtiments hospitaliers
Les établissements de santé ne disposent pas de ressources humaines et financières suffisantes ou bien ne les utilisent pas suffisamment bien pour pérenniser leurs bâtiments et infrastructures. Parfois même ils n’en ressentent pas le besoin.
Ces moyens peuvent être encore plus insuffisants lorsqu’ils se lancent dans des projets de rénovations, d’agrandissements ou de nouvelles constructions en inadéquation avec leur capacité financière d’investissement en les conduisant à amputer les crédits de fonctionnement et notamment ceux de la maintenance et de la sécurité.
L’écart entre les besoins et les moyens sera donc encore plus important d’autant que les bâtiments hospitaliers d’aujourd’hui et les obligations réglementaires nécessitent plus de maintenance et de contrôle que par le passé.
Il est vrai que des projets immobiliers sont décidées sans étude de risques financiers, sans souci de minimiser le coût global dès les études préalables, en laissant trop d’initiative au maître d’œuvre dans sa conception et en ne prenant pas assez en compte les coûts de maintenance, d’exploitation et de renouvellement et en réalisant trop tardivement les études de flux conduisant à des modifications coûteuses.
En outre le programme n’est pas suffisamment détaillé pour obtenir un coût initial le plus proche du coût final et la marge de crédit supplémentaire pour répondre aux oublis et imprévus, est trop faible, alors qu’elle devrait être d’au moins 15%, hors révision de prix.
Sur le plan architectural, urbanistique, technique et organisationnel nous constatons que :
– L’occupation des locaux ne sera pas optimisée pour réduire les surfaces.
– Le terrain choisi imposera des fondations et des murs de soutènement trop importants et nécessitera la construction de parkings en élévation ou enterrés, une double hélistation en toiture terrasse, des systèmes de ventilation plus conséquents, le déplacement d’activités suivi de démolition pour dégager de la surface.
– De très grands volumes de circulation (rue interne) et des auvents d’entrée gigantesques seront prévus, ainsi que la végétalisation des façades et des toitures terrasse.
– Des terrasses accessibles et des balcons seront réalisés en trop grand nombre.
– Les matériels et les matériaux ne prendront pas en compte la durabilité, la fiabilité, la facilité d’élimination ou de destruction …
– Les espaces insuffisants pour les installations techniques et les réseaux conduiront à des difficultés d’installation et de maintenance.
– Des installations techniques et de contrôle trop complexes seront impossibles à maîtriser.
L’hôpital ne peut plus dépenser sans compter au stade de l’investissement et délaisser l’exploitation maintenance.
Sur ce dernier point tout le monde convient qu’il n’est pas normal et dangereux de ne pas assurer un entretien de bon niveau afin de pérenniser les bâtiments et les installations.
Les services qui ont la charge de l’exploitation et de la maintenance technique et qui se trouvent parfois en grande difficulté pour maintenir en bon état et en toute sécurité le patrimoine immobilier sont les premiers à signaler de telles carences. Mais ce n’est que lorsque des événements particulièrement indésirables ou un mécontentement général surviennent que l’intérêt que l’on porte à cette composante de la gestion hospitalière devient un sujet de réflexion majeur afin de définir une ligne d’action prioritaire parce qu’il n’y a plus d’autre choix.
Qu’elles sont alors les solutions pour pérenniser les infrastructures et les bâtiments ?
La direction de l’hôpital aura à définir ou actualiser sa stratégie immobilière, laquelle impliquera la politique de maintenance et d’exploitation. Des indicateurs de suivi et de résultats, en cours d’exploitation, devront lui être proposés afin qu’elle puisse décider du résultat qu’elle souhaite obtenir.
Des scénarios d’organisation et de coût pourront alors lui être soumis pour un choix qui l’engagera sur plusieurs années (jusqu’à 30 ans pour le renouvellement). Ensuite sera déterminé comment et par qui cette maintenance exploitation sera réalisée.
Mais tout d’abord il est indispensable de constituer :
– Une coordination des sécurités des biens et des personnes, techniques, logistiques environnementales et du contrôle qualité, auprès de la direction générale.
– Une équipe de sécurité et sûreté présente 24h/24h afin de signaler les anomalies et les dysfonctionnements et intervenir immédiatement lorsque la situation le nécessite.
– Une équipe d’ingénierie technique interne performante et expérimentée avec à sa tête un cadre de formation ingénieur rompu au pilotage et au management de la maintenance de grands ensembles immobiliers comme le sont maintenant les centres hospitaliers. Dans le cas d’une construction nouvelle, cette équipe devra être présente depuis le début des études de faisabilité jusqu’à la mise en service pour assurer l’exploitation et la maintenance du site et devra comprendre, entre autres experts, un juriste.
Puis de choisir une des trois solutions en matière de maintenance-exploitation : l’externalisation complète, l’internalisation complète, la solution mixte (moyens internes et externes). Chacune d’elle peut être complétée utilement par un apport d’expertises et de conseils extérieurs d’audit, de prescription et d’aide à la décision.
L’externalisation complète peut se faire à travers un contrat de Partenariat Public Privé («PPP»), un Bail Emphytéotique Hospitalier («BEH») ou à travers des contrats globaux de type Utilities & Facilities Management («UFM») connus aussi sous leur ancienne dénomination issue du Code des marchés publics sous les sigles P1 + P2 + P3 : gestion des énergies et maintenances en garantie totale.
A l’heure actuelle en France, les PPP en cours pour des activités de soins ne sont pas suffisamment avancés pour évaluer les résultats en matière de pérennité de la solution, leur mise en œuvre étant encore trop récente. En revanche, des PPP qui concernent des unités de production (centrale de froid, production de chaleur, central d’énergie électrique, blanchisserie, cuisine…) semblent bien se dérouler ainsi que le bon fonctionnement et l’entretien des unités concernées.
Les PPP présentent des avantages:
Une meilleure définition des besoins en coût global et donc un rattrapage du retard dans la définition des prestations par rapport à celles réaliser en interne.
La flexibilité et la qualité des ressources humaines.
La fiabilité des engagements assurée par contrat permettant de budgéter une enveloppe financière sur de longues années (jusqu’à 30 ans).
Le transfert du risque d’hébergement à un Partenaire expert, l’hôpital concentrant ses forces et ressources à sa fonction première, l’acte de soigner.
Les gains de productivité par une réorganisation des fonctions chaque fois que nécessaire et un meilleur management des ressources humaines.
L’assurance de la pérennité du patrimoine et de son maintien en conformité par la mise en œuvre d’un plan de gros entretien et renouvellement («GER»).
L’optimisation des politiques d’achat qui s’appuie sur une connaissance très fine des pratiques du marché, notamment en matière d’utilités (eau et énergies).
La possibilité d’application de pénalités contractuelles en cas de non-conformité du niveau de service rendu.
L’intérêt pour le client d’avoir un interlocuteur unique qui globalise un ensemble de prestations multi compétences et qui s’engage sur des résultats contractuels.
La possibilité de bénéficier des tables de benchmarking du partenaire et de ses prestataires.
Mais aussi des inconvénients qui, s’ils ne sont pas maîtriser dès l’élaboration du contrat seront plus néfastes que les avantages :
La dépendance aux sociétés en place pour faire réaliser des prestations hors contrat et des difficultés d’adaptation du contrat en cas de modification de l’établissement à moins d’introduire des clauses d’adaptation, de pénalités voire de déchéance.
La difficulté de disposer en interne des personnels aux multiples compétences capables de rédiger et contrôler les contrats PPP.
La difficulté de reclasser le personnel interne en place.
L’impossibilité si ce n’est prévu contractuellement de faire appel rapidement et temporairement à des solutions de remplacement en cas de difficulté de la société tout particulièrement dans le cadre des procédures d’achat des marchés publics.
L’impossibilité de revoir à la baisse son budget global (loyers et redevances) en cours de contrat.
Les contrats de type P1, P2, P3 (gestion des énergies – maintenance préventive et corrective – garantie totale) sont courants pour des secteurs d’activité particuliers mais il est rare dans les hôpitaux de rencontrer ce type de contrat tous secteurs techniques et logistiques confondus et, encore plus rare d’y trouver le P4 ou financement des installations nouvelles et conformité réglementaire.
Sous l’angle de la sous-traitance, ils présentent les mêmes avantages que les PPP en revanche ils présentent moins d’inconvénients malgré :
– Des délais importants, à chaque relance de mise en concurrence, pour que la société et ses personnels s’adaptent à son nouveau client conduisant à des périodes de flottement préjudiciables.
– La difficulté de reclasser le personnel interne en place.
– L’absence de transfert du risque puisque le Client reste maître de la politique maintenance et énergétique choisie, le prestataire n’étant qu’un exécutant.
Les solutions mixtes maintiennent des personnels d’exécution en plus ou moins grand nombre associés à des contrats de maintenance de type P1 + P2 ou P3 Cette solution conduit le personnel d’ingénierie immobilière à dimensionner en permanence les missions internes et les missions externes et à conserver un niveau de qualification des personnels d’exécution internes avec de plus en plus de difficulté compte tenu de la diversité et la complexité des technologies.
L’internalisation complète nécessite encore plus que la solution mixte de conserver un bon niveau de qualification des personnels d’exécution internes. Celui-ci est de plus en plus difficile à maintenir compte tenu de la diversification et de la complexification des matériels et des installations dont seuls les constructeurs, et parfois certains installateurs, maîtrisent le fonctionnement. En outre il est quasi impossible de développer, dans chaque établissement des outils de gestion technique sans une aide au niveau national.
Le tableau ci-dessous synthétise les avantages et inconvénients de ces solutions.
P1+P3 | P3 | P2 | Interne | |
Avantages | La maintenance tient compte des coûts énergétiques.Les installations sont maintenues à un bon niveau.Les installations sont remplacées lorsque cela est nécessaire ou selon une programmation.Les adaptations du contrat sont permanentes. | Les installations sont maintenues à un bon niveau.Les installations sont remplacées lorsque cela est nécessaire ou selon une programmation.Les adaptations du contrat sont permanentes. | Les installations sont maintenues à un bon niveau.Les adaptations du contrat sont permanentes. | Pas de gestion des contrats. |
Inconvénients | La maintenance ne tient pas compte des coûts énergétiques. | La maintenance ne tient pas compte des coûts énergétiques.Les installations ne sont pas remplacées lorsque cela est nécessaire ou selon une programmation. | Impossibilité de maintenir des équipes compétentes, ce qui à des conséquences négatives sur la qualité de la maintenance. |
Les solutions P1 + P3 ou seulement P3, selon l’activité concernée, semblent aujourd’hui les mieux adaptées au monde hospitalier d’autant qu’elles sont souvent pratiquée et qu’elles ont fait leurs preuves. La gestion technique sera alors complète parce que contractualisée.
Toutefois, il faut s’attendre à une augmentation des coûts de maintenance et d’exploitation des bâtiments et de ses infrastructures par rapport à une maintenance et une exploitation mise en place au coup par coup sans véritable stratégie, sans programme de renouvellement et sans définition du niveau de qualité de la prestation à atteindre.
D’autre part, quelle que soit la solution choisie l’établissement devra mettre en place une équipe d’ingénierie immobilière capable de contrôler les niveaux de service.
Pour les PPP elle devra être tout autant juridique qu’économique technique.
Pour la formule P1 + P3 ou P2 elle devra être très majoritairement technique.
Pour la formule mixte alliant équipe interne et divers contrat de type P3 ou P2 elle sera technique et managériale, avec une politique de gestion des ressources humaines en adéquation avec les inévitables zones de frottement liées aux limites de responsabilité.
Plus la maintenance sera déléguée, plus l’équipe interne sera réduite en opérateurs et puissante en décideurs et coordonateurs. En revanche les compétences de chaque personnel la composant devront être plus diverses.
Chaque établissement doit étudier au cas par cas, selon sa stratégie patrimoniale, sociale et les capacités des sociétés de maintenance-exploitation, le curseur applicable à sa solution d’externalisation. Une étude approfondie sur le court, moyen et long terme fondée sur une analyse des risques pour chacune des solutions doit permettre de s’engager sans devoir faire machine arrière ou mettre en difficulté l’établissement.
Alexandre TOESCA
Secrétaire général IHF